Le Football à Penmarch Par Lucien Jegou

➡️ Fils d'agriculteurs penmarchais, Lucien Jégou fut le premier historien à s'intéresser à Penmarc'h. Son livre « Penmarc'h. Histoires et traditions», paru en 1968, a séduit les Penmarchais. Il est décédé en Aout 2018 à Pont-l'Abbé à l'âge de 87 ans.
Enseignant d'histoire-géographie en France et au Niger, Lucien Jégou a commencé à écrire un peu par hasard. Passionné de livres anciens, il a offert sa vision d'historien aux habitants de sa terre natale, par le biais d'ouvrages attrayants et de lecture aisée.

« Pendant maritime du Cheval d'Orgueil »

Contemporain et ami de Pierre-Jakès Hélias, Lucien Jégou a également écrit sur la vie d'un petit Bigouden de l'entre-deux-guerres. Né en 1919 à Penmarc'h, son livre « Le Bénitier du diable » rassemble une dizaine de nouvelles inspirées de ses souvenirs d'enfance et de jeunesse à Penmarc'h. Attrayants et bien illustrés, notamment par le peintre Paul Ragueneau, ses livres étaient « embarqués par les pêcheurs de Saint-Guénolé en mer », se rappelle sa femme Jeanine.

Des livres appréciés des Bigoudens

Les livres de Lucien Jégou furent surtout lus par les Bigoudens, ravis de lire ses nouvelles et chroniques. Il fut en outre le premier d'une longue série d'historiens à se pencher sur Penmarc'h. « Il reçut peu de critiques, sauf peut-être par quelques femmes de pêcheurs de Saint-Guénolé », se souvient la famille de l'auteur. Lucien Jégou les aurait légèrement piquées au vif en décrivant un matriarcat puissant... Hormis les ouvrages cités plus haut, ses écrits sont « Le Vieux Rennes en flânant », un ouvrage historique sur la ville de Rennes et « Iseut des Dunes », un recueil de contes inspirés par les légendes celtiques et l'histoire de la région.

Le Football à Penmarc’h

par Luçien JEGOU

Les Bigoudens ont toujours aimé le jeu de balle. Avant l'apparition du football, on donnait la soule. C'était une sorte de ballon de cuir rembourré de tissu. Les deux camps tâchaient de la garder le plus longtemps possible. La partie durait une journée. C'étaient des courses à travers les rues, dans la campagne, des empoignades. Des accidents se produisirent. À Pont-l'Abbé, tout un groupe, perdant toute prudence, tomba dans l'étang salé. Certains s'y noyèrent. Ce jeu, devenu très brutal, fut finalement interdit et remplacé par la galoche. Ce n'est qu'au début du siècle qu'on vit apparaître les premières équipes de football, à Penmarc'h, Guilvinec, Plonéour et Pont-l'Abbé. Le terrain de jeu était ordinairement la dune, un champ moissonné, ou une garenne. Le sol inégal se prêtait admirablement à des accidents de toutes espèces. Les poilus de la guerre de 14 tirèrent le meilleur parti de leurs godillots. On fabriqua des crampons et des barrettes. L'ardeur l'emportait nettement sur la technique. L’« exercice de godasses » était ponctué de maladresses qui propulsaient dans les airs de grosses touffes d'herbe. Les gamins jouaient souvent avec une balle qui ressemblait, extérieurement, à une pelote de ficelle. Ce n'est que vers 1930 que nous avons pu acheter des « poumons » en mousse de caoutchouc. Vers l'âge de dix ans, je chantais, à l'exemple de mes camarades, l'air des supporters victorieux : « Non, non, non, les Cormorans ne sont pas morts … Car ils shootent encore... »
Je fis mes premières armes sous la férule de l'abbé Colin, sur la dune du Ster. Le patronage ne produisit pas beaucoup de bons joueurs. L'Abbé, en soutane et chaussures montantes, paraissait ignorer les principes élémentaires de ce jeu collectif. Mais, comme nous étions agréablement occupés, le reste n'avait pas d'importance.
Quand je demandai à mes parents un peu d'argent afin de satisfaire ma passion du football et acheter l'équipement, je me fis vivement rabrouer :
« Il y a autre chose à faire dans cette maison que de gaspiller pour des futilités dangereuses! Le lundi, c'est le jour des rebouteux! »
Et de représenter les joueurs dans la boue jusqu'aux chevilles, aussi noirs que des diables, sans compter les blessés!
« Si nous avions été moins pauvres, je t'aurais acheté une bicyclette. Ça, c'est du sport! »

Mon père avait été, en effet, animateur du vélodrome, « la Piste », convertie aujourd'hui en terrain de football. La piste avait eu ses heures de gloire avec Petit Breton et Van Der Guelgem. Hélas! La malchance s'abattit sur les généreux mécènes qui avaient donné pour le sport cycliste. Deux réunions furent annulées à cause de la pluie, il fallut honorer les contrats. Chacun se désintéressa de l'entreprise, les mauvaises herbes envahirent le petit stade, tandis que disparaissaient peu à peu les planches de clôture et celles des tribunes. Mon père ne disait jamais mot de l'argent dépensé dans cette petite faillite. Lui en parler aurait été un désastre à tous points de vue.
N'ayant rien à espérer de ce côté, je me tournai vers ma mère. Comme elle était très bonne, je nourrissais l'espoir d'une certaine aide.
« L'exercice de lergots (godillots), ne vaut rien pour la santé », disait-elle. De plus les récoltes avaient été mauvaises et dans ces conditions...
C'était vrai, les pommes de terre se vendaient mal, et le charançon s'était mis dans le blé. J'avais beau renouveler mes attaques, ma mère devenait sourde quand on l'entretenait à ce sujet.
A force de persévérance, je réussis à réunir quinze francs grâce à la vente de mes escargots. Il m'en fallait quinze autres. Comment faire ? J'avoue à ma grande honte que je fis quelques larcins, poussé inexorablement par le démon du ballon rond. Cette mauvaise action ne me profita pas. Je fus, au contraire, cruellement puni et voici comment :
Les autorités qui régnaient sur les Cormorans Sportifs jugèrent que j'avais un talent suffisant pour jouer dans l'équipe seconde. Je rassemblai donc mon équipement dans un petit panier d'osier. Le panier d'osier offre l'avantage remarquable d'être constamment aéré, ce qui fait que, d'un dimanche sur l'autre, le matériel se trouvait être moins moisi que dans une valise en carton. J'avais prévu grand. La paire de chaussures avait bien deux pointures de trop, ce qui m'obligea à en combler l'extrémité avec du papier journal. J'avais aussi résolu le difficile problème des protège-tibias et regardais avec orgueil les deux plaques de caoutchouc mousse. Pour obtenir cet accessoire il m'avait fallu déployer des trésors d'ingéniosité. J'avais renoncé à des « protège » de fabrication artisanale, consistant en du carton enveloppé dans un tissu de vieille laine, vestige d'une vareuse mise au rebut. J'appris à mes dépens qu'un tel accessoire résiste difficilement à l'épreuve de l'eau.
Je n'avais pas encore 15 ans. Me voilà donc un dimanche après-midi — nous étions à la mi-septembre — devant le monument aux morts dans l'attente du car. Les admirateurs qui m'entouraient apprécièrent le fourniment tout neuf. On se le passa en faisant des commentaires flatteurs. Un klaxon retentit au carrefour. Le Car Le Rhun, le seul, je crois, qu'il y eût dans la commune, transporta les Cormorans Sportifs pendant des lustres. En 1935 il était encore beau malgré sa couleur bleue qui commençait à passer, avec le magnifique Cormoran peint à l'arrière. Je montai donc dans le véhicule en serrant contre moi la précieuse valise. Une heure plus tard nous étions à Plouhinec. Je me souviens que nous mîmes la tenue dans une arrière-salle de café, meublée de bancs et d'une table longue sur des tréteaux, pour poser nos habits. Sur les murs, des rectangles de zinc vantaient les mérites des spiritueux. Le terrain de jeu, dont la pente nous parut excessive, avait été labouré l'année même. Les chaumes qui dépassaient le niveau des mauvaises herbes nous chatouillaient les chevilles. Quand l'arbitre nous eut réunis dans la position de départ, je ressentis une sorte d'orgueil, mais aussi un malaise indéfinissable. Pendant dix minutes je ne touchai pas une balle. Je me demandais ce que penseraient les dirigeants! Quand enfin le ballon m'arriva dans les pieds, car j'étais trop timide pour aller le chercher, la peur m'abandonna. Je me mis à jouer avec la même assurance que dans une cour de récréation. Je marquai un but, en fis marquer d'autres, et au plaisir de jouer s'ajouta un peu de vanité. C'était trop ! La mi-temps allait être sifflée quand arriva la catastrophe : je bottais une balle quand un adversaire, confondant mes chevilles et le ballon, sauta sur mon pied en extension. Il y eut comme un bruit sourd et je demeurai sur le terrain. Le jeu avait repris tout autour, et, comme personne ne s'occupait de moi, je tentai de me relever. Vainement ! Une douleur insupportable me tenaillait. Le match s'arrêta un moment. On me transporta sur le rebord d'un talus. On palpa l'endroit blessé. Je faisais d'affreuses grimaces.
François, supporter fanatique, s'approcha, et, écartant les gêneurs déclara avec l'assurance du soigneur authentique :
« Ce n'est rien ! Une petite foulure. Je vais t'arranger ça. Apportez de l'huile camphrée... une bande, et dans dix minutes tu pourras reprendre ta place ! »
Et le voilà massant la cheville avec vigueur, versant abondamment l'huile locale qui ne coûtait rien. Sous ce traitement énergique, la douleur, au lieu de s'estomper devint de plus en plus forte, puis intolérable. Un claquement sec fit dresser l'oreille du soigneur. « Je vous l'avais dit, l'os est revenu à sa place. Tu peux te lever et marcher. »
Ayant prononcé cette sentence, François s'éloigna vers la touche pour prodiguer ses conseils éclairés aux joueurs. François se donnait des allures de professionnel. Il avait, disait-il, opéré dans les rangs de l'Olympique de Marseille, sans préciser toutefois à quel niveau. Une fâcheuse blessure l'avait éloigné de la haute compétition.
Cependant ma jambe enflait d'une manière inquiétante. Ma cheville devint aussi grosse que mon mollet. Je commençais à soupçonner qu'il y avait fracture. Les gens qui m'entouraient hochaient vilainement la tête. Enfin on m'emporta sur un lit, une petite voiture de supporter me conduisit chez moi. Jugez l'état de ma mère quand elle me vit dans cette triste posture.
« Voilà le football ! » Puis elle ajouta : « Le pire est qu'il est capable de recommencer quand il sera guéri. Où sont les lergots ? »
Ils étaient restés sur les lieux de l'accident, et échappèrent sûrement au couteau dont on les menaçait. La scène était à peine terminée, et comme un petit malheur n'arrive jamais seul, mon frère entra en larmes, la figure en sang, avec quatre dents cassées. Il avait fait une chute de bicyclette. Les pleurs de ma mère vinrent s'ajouter aux gémissements de ses deux fils. Elle devait se demander obscurément ce qu'elle avait pu faire au Bon Dieu pour avoir des enfants pareils !
Mon père arriva accompagné de quelques voisins. On était venu lui apporter la nouvelle. Il était très dur au mal — je l'ai vu une fois arracher de son pied une foine de pêcheur sans qu'il ne dise mot sous l'horrible douleur, se contentant de dire qu'il ne faut pas glisser et savoir où mettre le pied quand il y a des algues.
« Tu es moins malheureux que ton frère, parce qu'une jambe se répare. Seulement tu risques de perdre ton année scolaire et peut-être ta bourse ! »
Les enfants sont instinctivement paresseux. La perspective d'une longue inaction me faisait oublier la douleur. Comme je détestais l'internat, l'accident n'était en définitive qu'un moindre mal. »
Le docteur arriva. « C'est une fracture. Il va falloir le plâtrer, mais pas tout de suite, quand son pied sera désenflé. Ce ne sera pas grave, mon petit, la cassure est nette. Dans trois mois tu pourras trotter comme avant. Veux-tu lire ? Je te prêterai les aventures d'Arsène Lupin. »
Les vicissitudes du cambrioleur sympathique qui ne volait que les riches trompèrent la douleur. À la fin de la semaine, on me transporta à l'hôpital de Pont-l'Abbé. On me mit un peu à l'écart, près de la fenêtre de la salle commune. Mon frère me consola, et me laissa des gâteaux et des oranges. Je dormis mal. Le lendemain je fis connaissance avec mes voisins. J'appris que certains étaient là depuis plusieurs mois. Ils savaient dans leurs moindres détails tous les menus faits qui peuplent les longues heures : les passages de l'infirmier Traquet, homme replet et rubicond, qui buvait volontiers le vin rouge que les parents et les amis apportaient aux blessés, les allées et venues de sœur Augustine, le son de la cloche qui annonce la venue de tel docteur, l'heure des soins et celle de la soupe. Quoique réunis dans la même infortune, les malades, après avoir débité les banalités de la vie quotidienne, ne pouvaient s'empêcher de se chicaner entre eux. C'était inévitable, car dans notre chambre se côtoyaient des vieillards, des hommes mûrs, un tuberculeux bacillaire, des jeunes gens et des enfants. Un de ces derniers, qui s'appelait Robert, traitait son voisin de « sac à patates ». Sac'h rouz, sac'h rouz, répétait-il avec une gaieté féroce. L'offensé menaçait, geignait, faisait mine de se lever, mais retombait fatalement sur son lit de souffrance. L'heure des visites ramenait sans cesse les mêmes personnes. Pour les mêmes, les gâteries, les douceurs, pour les autres, jamais rien. Quand le soir tombait, après avoir avalé une soupe insipide et des sardines, la salle reprenait insensiblement le rythme du repos. Une sœur venait réciter la prière du soir et tout s'abîmait dans le crépuscule et la nuit. Quelques craquements, quelques ronflements, et c'était la fin d'une longue journée, succédant à une autre aussi longue. Attente, espoir peut-être ?
C'est un samedi que le chirurgien me mit le carcan de plâtre qui m'enveloppa depuis la pointe des pieds jusqu'à l'aine. Je ne souffrais presque plus. Je reçus ce soir-là beaucoup de visites — la famille, les sportifs, des amis. Les fruits, les gâteaux s'amoncelèrent sur ma table de nuit, trois bouteilles de vin en occupèrent l'étage inférieur. J'en bus deux verres et je crois que je fus un peu gris. Je fis distribuer une partie du pactole, tandis que l'infirmier s'emparait des liquides. La nuit était déjà assez avancée. J'avais un peu dormi, et le moindre bruit me réveillait. Je n'avais aucune connaissance de l'heure et continuai à somnoler. De la pièce voisine un bruit de râle me mit aux aguets. Bientôt une veilleuse s'alluma, des pas feutrés, des chuchotements. Une voix récitait des paroles en latin. A cette voix répondait celle des religieuses. Je compris que le malade qui était arrivé la veille allait mourir. Les murmures s'éteignirent, de même que la lampe. Je m'assoupis à nouveau, peut-être une heure, peut-être deux. Des gens parlaient de nouveau à voix basse. L'infirmier à la figure écarlate, faisant sa ronde, pénétra dans notre salle et, voyant que je ne dormais pas :
« On l'a eu!
— Qui ?
— Celui qui est arrivé hier. Nous savions par le docteur qu'il ne passerait pas la nuit. »
Il s'éloigna en faisant traîner ses pantoufles. La nuit reprit possession de son domaine, m'apportant, par intervalles, la rumeur de la fête foraine qui se déroule chaque année à l'occasion de la Tréminou. Parfois la musique des chevaux de bois se détachait sur la rumeur colorée :
C'est la valse brune
Des chevaliers de la Lune
Sombre dimanche !
Je quittai l'hôpital deux jours plus tard. Je devais garder le lit pendant encore trois semaines, après quoi il me serait permis de mettre le pied par terre. Tous les sportifs défilèrent pour me réconforter. J'eus le temps de relire deux ou trois fois les aventures d'Arsène Lupin. Quand enfin arriva le moment de se lever, une sérieuse difficulté apparut. Il fallait trouver des « bâtons pour boiteux », c'est-à-dire des béquilles. Le prix élevé de cet ustensile orthopédique qui ne servirait que quelques semaines fit hésiter mes parents. On fit donc le recensement des infirmes et des blessés de guerre susceptibles de le posséder en double ou de n'en avoir plus besoin. Hélas ! On ne découvrit que des béquilles vermoulues ou tellement basses que j'aurais dû me déplacer à la manière des bossus. L'idée d'une telle disgrâce fit pousser des hauts cris à tout le monde. Mais quelle solution trouver puisqu'il était admis de ne pas acheter le support de l'infirme ! Mon frère qui finissait son apprentissage de menuisier hasarda qu'il pourrait le fabriquer. La proposition fut acceptée avec enthousiasme. Quelques jours plus tard paraissait l'outil de ma convalescence : deux perches surmontées d'une planchette. Ma mère confectionna un coussin de vieille laine pour protéger les aisselles. Le premier essai de ces béquilles d'un nouveau genre faillit se terminer par un désastre. Je tombai, ayant de la peine à maîtriser ces bâtons aussi gros que mon poignet. A la longue pourtant je pris de la virtuosité, et fis des pas aussi longs que les Landais qui gardent les moutons sur des échasses. Je me hasardai sur des terrains incertains tels que prairies et champs labourés. Je faillis une fois être victime de mon intrépidité. Une béquille s'enfonça si profondément dans un champ de navets que je perdis l'équilibre, et ne dus mon salut qu'à un plongeon acrobatique à la manière des parachutistes. Cet incident me fut salutaire et je ne pris plus de risques inutiles. La guérison suivit son cours. Bientôt je ne me servis plus que d'une canne, et quand je pus me déplacer sans aide je recommençai à taquiner le ballon. Cela dura vingt ans.
Ma mère qui appréhendait toutes les rencontres de football refusa obstinément de laver mon équipement, qui fut sans doute le plus sale qu'on vit jamais sur les stades de Cornouaille et du Léon.
Si l'on excepte une deuxième jambe cassée, mon expérience de footballeur fut très bénéfique. Elle m'a permis d'avoir pendant longtemps des contacts amicaux avec d'autres joueurs de toute la Bretagne. C'était à cette époque de l'amateurisme pur et déficitaire. Le pays sud bigouden, qui peut s'enorgueillir d'une pléiade de bons joueurs, formés surtout à l'E.P.S. de Pont-l'Abbé, put aussi, grâce à eux, tisser des liens plus étroits au cours de rencontres où ne régna pas toujours la plus parfaite harmonie. Le public féminin était pendant la guerre beaucoup plus nombreux qu'aujourd'hui. Les tournois de Pâques en particulier prenaient un air de kermesse, pendant laquelle les buts marqués étaient copieusement arrosés, si bien qu'on se mettait à parler fort à la fin des rencontres.
Les déplacements les plus proches se faisaient parfois à bicyclette, au stade de l'« œil de poule » (lagad ar yar) à Guilvinec, puis ensuite dans des cars qui ne furent pas toujours dans le meilleur état, surtout pendant la guerre. Celui qui m'a paru le plus pittoresque fut celui de Brest. Une première panne nous immobilisa à Pont de Buis. Le chauffeur qui ne connaissait rien à la mécanique estima qu'on pourrait repartir en obturant un orifice par du caoutchouc. Comme c'était dimanche on ne trouva personne pour nous en fournir. Finalement, un accompagnateur eut une idée de génie. Il ouvrit son portefeuille et en sortit... un préservatif ! Comme nous n'avions pas confiance dans cette médecine, on loua deux taxis pour l'équipe première. La deuxième rejoindrait plus tard. Le car arriva en effet vers cinq heures du soir, alors que la rencontre était terminée, mais refusa de partir. Des militaires qui avaient deux chambres en ville nous les proposèrent, firent une distribution de couvertures, et nous voilà tous allongés côte à côte sur le parquet. L'équipée se termina le mardi, car il y eut encore d'autres arrêts, dont l'un à Quimmerch où, pour tuer le temps, la jeunesse donna un coup de main dans une ferme, pour aider à préparer le cochon qu'on venait de sacrifier.
Tout a bien changé depuis. Ce qui n'était qu'accessoire il y a trente ans devient aujourd'hui important. C'est la rançon de la productivité. Faut-il verser un pleur sur l'amateurisme véritable ? Je le pense un peu. Je l'ai dit, mais sans conviction.